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La femme du boulanger

La place du village, ses platanes, sa fontaine au milieu, et ses petits commerces tout autour.

La voiture genre 4×4 est arrivée peu après-midi, son conducteur a traversé la place d’un pas assez rapide, et s’est dirigé directement vers le petit café. Il n’y avait personne à la terrasse, il est donc entré direct.

– Bonjour, est-ce que je peux vous poser une question ? il s’est adressé au barman qui finissait d’essuyer quelques verres derrière le bar.

– Que puis-je pour vous ?

– Voilà je suis à la recherche d’une boulangerie, je veux dire une boulangerie ouverte, celle que j’ai vu semble fermée depuis longtemps…

– Vous avez tout à fait raison il y a bien eu en effet une boulangerie dans ce village, il n’y en a plus…

– C’est bien ce que je comprends, mais que s’est-il passé ? Ah et est-ce que vous pouvez me préparer un petit café svp ?

– Oui bien sûr … C’est une histoire qui date de maintenant presque six mois, une histoire assez pénible pour la population, qui doit maintenant aller acheter son pain et ses petits gâteaux au village d’à côté.

– J’imagine que ça ne doit pas être rigolo tous les jours.

– Je peux vous raconter l’histoire si vous avez un peu de temps.

– Allez-y…

– La boulangerie du village était tenue depuis plusieurs années par un couple, des bons professionnels ! Leur pain était excellent… La femme, puisqu’il est question d’elle particulièrement, étaient vue et connue de tous. Enviée ? Très certainement…admirée, détestée aussi probablement, c’était un des sujets de discussions du village, elle captait l’attention, elle était attirante… Plusieurs hommes du village rêvaient d’elle et n’attendaient qu’un signe pour essayer de conclure…

Tout a commencé lorsque la femme du boulanger s’est blessée sérieusement la main avec la machine à pétrir. Ce jour là elle devait remplacer son mari. Il y avait du sang partout c’était pas beau à voir…C’est un accident qui arrive de temps en temps… Les jours suivants certains dans le village ont remarqué qu’elle n’était plus vraiment à ce qu’elle faisait. Elle était pensive, pas très réactive aux demandes des clients. Les disputes éclataient de plus en plus souvent entre elle et son mari, elle se trompait en rendant la monnaie, et on la voyait de moins en moins souvent dans la boutique…

– En effet ça a l’air un peu inquiétant votre histoire

– Et beaucoup de gens dans le village se sont aperçus que ça ne tournait plus rond. Certains allaient jusqu’à dire qu’ils l’avaient vu marcher toute seule dans le village, elle traversait la place et circulait dans les ruelles tard le soir…

– Je sens que vous allez me dire qu’elle avait un amant !…

– C’est ce que beaucoup ont cru. Jusqu’au jour où quelqu’un a raconté l’avoir vue sortir d’une maison, la même maison, régulièrement….

– Vous voyez c’est bien ce que je vous disais elle avait un amant…

– Pas si vite, attendez je vais vous raconter la suite… Cette maison c’était la maison où se réunissaient les écolos du département, ils ont commencé juste après les dernières élections des députés et depuis ils continuent, moi j’ai rien à redire, y font de mal à personne…

– Ça se précise, de la politique elle faisait de la politique !

– Pire que ça Monsieur, elle avait pris l’habitude de mener sa vie d’un manière très indépendante, elle sortait le soir et on a appris que depuis plusieurs semaines elle prenait sa voiture et sortait de la ville, vous vous rendez compte, et certains l’ont vue plusieurs fois qui rentrait très tard le soir !…

Ils ont cru qu’elle avait viré écolo, ce qui aurait pu expliquer ces nouvelles habitudes de vie, de nourriture, et vous pouvez deviner la suite …

– Oh oui j’imagine, la drogue et tout ça…

– Non vous n’y êtes pas, c’est gens là sont des vrais passionnés, le bien être des gens, la cause animale, tout ça c’est leur principal sujet de discussion et d’action. Mais là je vous parle d’autre chose, bien plus grave !…

Bon je vous passe les différentes étapes, jusqu’au jour où elle s’est mise à parler avec ses clientes de ses idées. Eh ben croyez moi si vous voulez … elle parlait du bien être de son corps, et même de la libération de son esprit … on n’y comprenait plus rien … elle apprenait des pas … elle faisait des tours et des 8 disait elle !

– En effet c’est un comble pour une boulangère. Son mari a pas dû bien prendre la chose, dites donc…

– Vous avez raison, il l’a si mal pris qu’au bout de quelques jours il en pouvait plus, il était devenu colérique, mal aimable avec elle… normal mais aussi et c’est plus grave avec les clients. Au bout de quelques semaines ils ont dû fermer la boutique ! Elle n’a jamais voulu renoncer à ses idées et lui ne la supportait plus, elle avait trop changé, et rester seul dans cette boutique lui rappelait trop de choses. Et je crois même qu’ils se sont séparés depuis.

– Mais c’est une histoire triste…. C’est dramatique,… quelle histoire… et les gens du village qu’est-ce qu’ils en pensent ?

– Le village s’est séparé en deux groupes, il y a ceux qui la soutiennent, elle a eu raison, elle devait faire ses choix, marquer sa différence, écouter et suivre sa passion jusqu’au bout… Et il y a ceux qui sont révoltés, c’est inadmissible etc.… Et qui pestent tous les jours parce qu’ils doivent prendre la voiture pour aller acheter leur pain et leurs gâteaux au village d’à côté…

– Intéressante votre histoire, en fait il faut que je vous dise, je venais pour le rencontrer, lui, suite à son annonce, je suis intéressé par la reprise, peut être, de son fond … mais je vous rassure tout de suite …. je suis célibataire …et je ne danse que le tango !

Claude Gosselin

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Sur le thème d’un tableau de Édward Hopper

Son regard balayait le fond du jardin, jusqu’à la grande grille en fer forgé qui marque l’entrée de leur propriété. Un peu pompeuse cette grille, c’est son mari qui l’avait choisie, son désir de château certainement… Et surtout sa mère, très bourgeoise, qui avait dû le pousser dans ce sens. La taille de la propriété n’est pas en rapport, mais cela impressionne toujours le visiteur. Encore une idée de son mari…

Mais ce n’était pas cette fameuse grille qui l’amenait à scruter avec autant d’insistance depuis le début de la matinée, elle espérait, elle guettait. Son mari était parti très tôt, elle était donc libre… Elle attendait… Debout depuis presque deux heures maintenant, légèrement appuyée sur le bord de la fenêtre, elle aurait dû être fatiguée, mais non, elle endurait cette position inconfortable, et laissait vagabonder son esprit, son imagination… Mais que fait-il ? Il s’est passé quelque chose… On avait pourtant dit en début de matinée ?… D’habitude plutôt du genre patiente, apte à se résigner même, toujours prête à trouver une bonne excuse pour justifier le retard des autres… Elle était complètement transformée, elle vivait une situation très nouvelle pour elle, elle était impatiente, limite début de mauvaise humeur. Le téléphone se mit à sonner à l’autre bout de la pièce, elle se décida à aller voir…

C’est peut-être lui !… Pleine d’espoir, elle laissa sa position d’observatrice… Non, un numéro non identifié… Elle préféra ne pas décrocher, c’est toujours une perte de temps… et elle revint rapidement se poster calée derrière la fenêtre entrouverte.

Ces quelques pas dans la pièce lui avaient fait du bien, elle commençait à s’ankyloser… Mais elle sentit que cette situation ne pouvait plus durer, pourquoi avait-elle accepté sa proposition? Les conditions étaient réunies certainement… et il y avait quand même urgence…

Et c’est alors qu’elle le vit, d’abord le toit blanc derrière les arbustes, et enfin un camping car, ça ne pouvait être que lui. Ils allaient enfin pouvoir partir et profiter de ce week end tango dont elle rêvait depuis si longtemps … Elle se détendit et alla lui ouvrir la porte…

Claude Gosselin