Ma partenaire venait tout juste de me dire le traditionnel «merci», et moi je lui avais répondu «c’était bien agréable». Elle repartait maintenant parmi la multitude des autres tangueros vers la table où elle était assise avec ses amis depuis le début de la soirée.
Je l’avais remarquée peu après le commencement du bal. Il y avait eu quelques hésitations et tentatives malheureuses, les autres hommes se précipitaient pour l’inviter, la bataille s’annonçait rude. J’avais dû préparer à l’avance mon invitation, stratégie de tanguero expérimenté… guettant l’instant propice, ce qui veut dire rester dans son secteur proche au commencement d’une série de valses, la musique sur laquelle je me sens le plus à l’aise !
Donc elle avait accepté mon invitation, avec un air détaché, presque résignée…mais en esquissant cependant un léger sourire. Ce qui m’avait un peu déçu car j’espérais mieux, un encouragement plus franc m’aurait donné l’énergie qui commençait à me manquer…
Là je me sentais dans mes petits souliers, étrange sensation pour un tanguero qui s’apprête à danser une série de valses argentines.
On n’avait jamais dansé ensemble, mais j’avais remarqué qu’elle avait une tenue très stable et savait lancer ses jambes pour effectuer ces mouvements tant appréciés des tangueras, et ce avec grâce et entrain.
Visiblement ce n’était pas une débutante. Bien que moi-même un peu expérimenté, je manque toujours d’assurance dans les pas un peu techniques et pour couronner le tout ce soir la piste était très chargée, j’avais déjà bousculé et été heurté plusieurs fois par d’autres danseurs. Donc la prudence était de rigueur, pas de tentative hasardeuse… Mais ne risquait elle pas de s’ennuyer si je me cantonnais à des pas trop simples ? Bien décidé à mettre tous les atouts de mon côté je décidais de jouer à fond mon joker et misais au maximum sur le suivi de la musique, le respect du tempo, du rythme… ce que je sais faire le mieux…
Ma stratégie semblait gagnante, pas d’incident technique majeur pendant les 3 premiers morceaux. Je l’avais bien en main; elle se laissait guider merveilleusement. Je n’osais pas la regarder, faisant semblant de protéger ma bulle, de m’assurer que l’environnement était safe. De temps en temps je risquais un rapide coup d’œil. Elle était telle que je l’avais imaginée, un peu plus grande peut être, et ses cheveux clairs brillaient sous les spots qui éclairaient la piste, et me donnaient si chaud… mais cela la mettait si bien en valeur…
Au quatrième et dernier morceau de la tenda je me suis soudain souvenu du conseil que mes amies ne manquaient pas de me rappeler, à savoir, soigne ton abrazo ! Ta cavalière n’est pas un paquet que tu transportes sur la piste. Prends en bien soin, montre lui qu’elle est la seule personne qui compte pour toi en ce moment, essaie de lui faire sentir la magie du tango, en un mot mets y de l’émotion !…
Je me suis alors enhardi à soigner un peu mieux ma prise de contact, tentant de faire passer ces ondes bienfaisantes… Opération difficile avec une valse qui bouge beaucoup, mais je laissais ma main droite sur son dos un peu plus longtemps que ne le nécessitait le mouvement, et je tentais de lui tenir la main avec douceur et fermeté. Là je sentis une réaction de sa part. Sa main s’est resserrée autour de la mienne… et je sentis ses yeux se tourner vers moi, cherchant à croiser mon regard, sans aucun doute…
Je me posais alors la question si c’était le signe qu’elle se trouvait particulièrement bien en ma compagnie ou bien était ce simplement pour s’aider à rétablir une stabilité défaillante ? On ne sait jamais avec les femmes… et c’est avec ce genre de doute encore en tête que je vivais les dernières notes du dernier morceau de notre première tenda…
Je la suivais du regard, se dirigeant vers sa table, une démarche souple et légère, sa tenue noire de tanguéra mettait sa silhouette en valeur, mais je n’osais attarder mon regard plus longtemps de peur que mon attirance ne devienne trop marquée.
Juste avant de s’asseoir un grand garçon s’est approché derrière elle, l’a enlacée par la taille… Elle s’est alors retournée et lui a adressé un joli sourire et un regard complice…
Retour rapide à la réalité, descente de mon nuage…
Je crois bien que je devrais suivre à l’avenir plus fidèlement le conseil de mes amis: les pieds dans le sol… et la tête sur les épaules !…
Claude Gosselin
Mirabelle
jeu, 05/12/2013 – 21:28